Comment créer un jardin Zen ?
Beaucoup plus qu’un mode de vie tranquille et détaché des problèmes quotidiens, la philosophie Zen prône l’attention à la vie et l’inépuisable variété de ses détails. En composant votre jardin empli de quiétude et en l’adaptant à vos besoins, vous vous initierez à une technique d’horticulture simple et attentionnée tout en acquérant un regard et une appréciation neufs pour les petites épiphanies de votre quotidien.
Petite histoire des jardins Zen
Le Zen est une variante du bouddhisme originaire de Chine, où il est connu sous le nom de Chan. Contrairement à d’autres sectes bouddhistes plus ésotériques et axées sur la lecture et l’interprétation des textes sacrés, le Chan prône la médiation en tant qu’éveil de l’esprit et du corps à tous les détails de nos actions et de notre environnement au quotidien. Ce culte de l’attention à la vie, qui peut être considéré comme concept précurseur de la mindfulness de notre époque, gagna le Japon au douzième et treizième siècle, à la fin de l’ère Kamakura et au début de l’ère Muromachi. Il y fut vite adopté par la classe sociale des samouraïs, qui appréciaient particulièrement les idéaux d’autodiscipline, de contrôle de soi et de modération qui sont au cœur de ce courant du bouddhisme. En même temps, la philosophie Zen eut un impact considérable sur la production artistique et intellectuelle. Dépassant les pratiques religieuses habituelles, la pratique du Zen englobait également des activités telles que la calligraphie, la peinture à l’encre chinois ainsi que le jardinage, qui étaient considérées comme des activités qui aiguisent la capacité d’attention à la vie et préparent ainsi à la méditation. Pour les horticulteurs de l’époque, le Zen engendra alors un nouvel idéal esthétique reposant sur l’épuration et la retenue.
Qu’est-ce qu’un jardin Zen ?
Un jardin Zen se distingue par son esthétique épurée et les délimitations précises de chacun de ses éléments. Les premiers jardins Zen au Japon consistaient ainsi dans l’épuration de jardins de plaisirs préexistants, qui se trouvaient alors éclaircis, délimités et réarrangés. Là où un jardin de plaisir habituel privilégiait les grands étangs qui invitaient aux parties de bateau, les premiers jardins Zen privilégiaient des étangs de petite taille, sur lesquels ne se promenèrent désormais que les regards des visiteurs. En même temps, de nouveaux jardins furent construits dans les cours intérieures des monastères dans le but d’offrir une vue depuis la petite chambre d’études, appelé shoin, où l’abbé recevait ses invités. Au fil du temps, ces jardins, qui contenaient d’abord aussi des touffes plantées et de petits étangs se transformèrent presque exclusivement en jardins karesansui, des jardins de pierre avec un minimum de végétation. Ce sont ces jardins faits de roches, de pierres, de sable et de mousse que l’on trouve immortalisés dans les estampes de l’ère Edo, à la fin du 19e et au début du 20e siècle.
Quels sont les éléments-clés d’un jardin Zen ?
Roches solitaires et groupées
L’élément-clé des jardins zen sont les groupes et formations de roches qui attirent le regard et créent des points focaux complexes. Contrairement aux jardins français qui privilégient les symétries et les formes géométriques, il s’agit de roches naturelles, non polies, que l’on regroupe le plus souvent en groupes de trois. Pour ces îlots de trois roches, plusieurs combinaisons de formes ont été standardisées et institutionnalisées par les horticulteurs japonais. Afin de pouvoir jouer avec ces codes visuels qui englobent également les textures différentes, force est de passer brièvement sur les différentes catégories de rocs et de leurs groupements.
Tout d’abord, on distingue cinq espèces de rocs selon leur aspect matériel :
- Susei-gan sont des rocs ronds en roche sédimentaire – argile, calcaire, grès, craie – qui ont été arrondis et polis par l’action de l’eau.
- Kasei-gan sont des rocs en pierre volcanique – tuf volcanique, basalte, ponce – et ont un aspect rugueux et pointu.
- Hensei-gan sont des roches métamorphiques telles que l’ardoise, le granite, le marbre, le schiste, ou encore le quartzite. Ces sont des rocs très durs qui se distinguent par leurs dessins particuliers – tachetés, marbrés etc. Le groupement de ce genre de pierres demande un effort supplémentaire dans la mesure où il ne faut pas mélanger trop de coloris et de textures afin de préserver l’impression d’un ensemble harmonieux. Ainsi on choisit le même dessin tacheté pour toutes les pierres du groupe et on veille à aligner les pierres marbrées de façon à ce que leurs marbrures pointent toutes dans la même direction !
- Suteishi sont des rocs à la marbrure et aux coloris extravagants qui ne s’emploient qu’en solitaires. C’est à l’ère Edo que les architectes horticulteurs avaient mis à la page ce rajout d’une touche de folie et de spontanéité extravagante dans les lignes calmes et égales du jardin traditionnel.
- Contrairement aux formes naturelles des quatre catégories précédentes, les Kiriishi sont des rocs taillés et ne sont utilisés que depuis quelques décennies. Ces pierres coupées remplacent souvent les galets de roche sédimentaire traditionnellement employés pour former des sentiers et des pierres de gué sur le sable ou le gravier des jardins zen.
En dehors de la classification des pierres en fonction de leurs matières et textures, il existe également un abécédaire des formes basiques :
- Vertical et élancé – une forme pointue et allongée proche d’un genévrier ou d’un cyprès italien.
- Vertical et ramassé – une forme pointue et plus étoffée proche d’un sapin de Noël.
- Arqué – une roche dont seulement une partie touche le sol et dont l’autre partie semble pousser sur le côté tel un champion qui pousse à même un tronc d’arbre.
- Allongé – une roche couchée à la surface non pas plate mais rebondie jusqu’à former un demi-globe.
- Plat – une roche couchée à la surface plate et plane.
Ces différentes formes de rocs sont groupées selon des règles bien établies en des compositions de 2, 3, 5 ou 7 qui mettent l’accent sur la variété et la complémentarité des formes. Ces groupements visent toujours à rendre une impression de naturel et à éviter toute apparence artificielle ou arrangée – telle que les symétries ou formes géométriques dont nous avons tant l’habitude. Voici quelques combinaisons basiques :
Parmi les combinaisons les plus simples, on compte deux groupes de deux roches :
Un roc vertical et élancé combiné avec un roc allongé ou encore un roc vertical et ramassé combiné avec un roc plat.
Les groupements de trois sont les formations les plus répandues. Ils combinent notamment un roc élancé avec un roc ramassé et un roc couché ou encore une roche élancée avec une roche allongée et une roche plate. Ces triangles peuvent être arrangés de façon différente. Ainsi le groupement appelé hinbonseki où trois roches sont disposées de façon à former un triangle si on les regarde d’en haut. Sanzonseki désigne également un arrangement de trois pierres en triangle mais qui forment un triangle vu du côté, avec deux roches de taille petite et moyenne sur les flancs et un plus grand rocher au milieu. Cette triade est connue comme « triade du Bouddha » dans la mesure où les rapports de taille entre les pierres incarnent l’humilité des hommes et la grandeur du divin qui les surplombe.
Un groupe de cinq est encore plus dynamique. Ainsi la formation canonique comportant l’ensemble des cinq formes basiques, qui se compose de deux groupes de deux sur l’arrière-plan – arqué avec élancé juxtaposé à ramassé avec plat – et semble aller vers ou plutôt se déverser en direction du spectateur par leur prolongation dans une roche plate.
Gravier et sable
Si les roches et leurs groupements sont les points focaux d’un jardin zen, la dynamique de l’ensemble repose sur l’arrangement du gravier (jari) et du sable (suna) qui lie ces différentes parties entre elles. Ainsi graviers et sables sont soigneusement arrangés au râteau selon des schémas ritualisés tels que des vagues parallèles, des carrés, des cercles concentriques, des fleurs, des échiquiers etc. Selon le lieu et son contexte, on trouve des recouvrements minéraux blancs, colorés ou noirs. L’idée générale est de former des lignes et formes différentes et complémentaires, reflétant le principe du yin et du yang – in et yō en Japonais.
En général, le sable est employé pour des jardins abrités réservés à la contemplation et non pas à la promenade. Pour des jardins praticables à pied, on préfère le gravier qui se laisse plus facilement mettre en forme et qui supporte également mieux l’exposition au vent et aux changements de temps.
Mousse
Les jardins de pierre japonais comportent également des éléments végétaux. Ainsi on trouve de la mousse et/ou des variétés de sedums pour garnir et embellir les groupes de rochers et former des petits îlots de verdure qui forment un joli contraste avec le sable ou le gravier.
Plantes
Des conifères taillés dans des formes diverses ainsi que des bonsaïs sont également des éléments appréciés pour un jardin Zen japonais. De même que les rocs, ils sont des points focaux du jardin qui attirent le regard.
Clôtures et bordures
Pour les jardins Zen japonais, les clôtures jouent un rôle important. D’un côté, ils protègent le jardin et délimitent cet endroit de calme et de contemplation du bruit et du désordre du monde extérieur. En même temps, les murs, murailles et clôtures tressés font partie intégrante de l’agencement du jardin dont ils reprennent et prolongent souvent les motifs et grandes lignes d’agencement.
Comment faire un jardin zen ?
Plan et agencement
Selon la place dont vous disposez, il est important de faire un plan d’aménagement pour votre jardin zen. Commencez d’abord par la construction des petits îlots de pierre et de mousse qui peuvent être implantés au niveau du sol ou sur des petites collines artificielles. Prenez le temps de bien choisir vos rocs selon leur couleur, leur forme et leur texture, selon tout ce qui attire votre regard et votre attention – vous pouvez choisir des rocs dans un magasin, en ligne ou encore opter pour des rocs naturels que vous trouvez dans la forêt, les champs ou déjà présents dans votre jardin. Pour des endroits plus petits, vous pouvez également utiliser des pierres et des rocs que vous avez ramenés d’un voyage et mettre ainsi en valeur vos souvenirs.
Pour l’agencement, il ne faut pas chercher la symétrie mais grouper des rocs de taille et de forme différentes et ce de préférence dans des groupes de trois – un grand flanqué de deux petits. Avant de rajouter le gravier fin autour de ces îlots, il est important de bien délimiter l’espace que vous souhaitez couvrir avec un cadre en pierre ou bois ainsi que de le recouvrir d’une couche de feutre ou de plaques alvéolées pour empêcher la pousse des mauvaises herbes. Pour un aspect authentiquement japonais, on choisit du gravier plutôt fin – 5 à 8 mm – en granit blanc ou gris. Il est tout à fait possible d’utiliser du gravier de couleur et de matière différente – ainsi le gravier de quartz pour aménagement d’aquarium que vous trouverez dans tous les magasins de jardinage et de bricolage se prête merveilleusement bien à l’aménagement d’un jardin de pierre et ce à très petit prix.
Si vous ne disposez pas de beaucoup de temps et de patience, il suffit de garder les endroits recouverts de gravier et de sable bien propre – il est conseillé de passer régulièrement le gravier par une passoire pour enlever toutes sortes de petites saletés qui s’y mélangent. Pour ceux qui souhaitent s’immerger davantage dans la culture et les pratiques japonaises, il existe une foule de dessins différents – échiquier, vagues, cercles concentriques etc. – que l’on peut apposer au gravier avec des râteaux et autres ustensiles appropriés.
Ustensiles
Il est tout à fait possible d’apposer des dessins à votre sable ou gravier à l’aide de râteaux de jardinage ordinaires. Si vous souhaitez pleinement profiter des bienfaits de cette technique de sculpture horizontale pour les facultés de concentration et pour l’apaisement qu’elle procure, optez plutôt pour des ustensiles japonais en bois que vous trouverez facilement dans les magasins de jardinage ou encore en ligne. En dehors de permettre de mieux et plus finement sculpter votre matériau, ils produisent non pas le son grinçant que les râteaux en métal produisent lors du contact avec de la pierre mais une sonorité plus ronde et reposante qui rappelle un sablier ou encore le déferlement de vagues sur une plage de gravier.
Les plantes pour un jardin Zen
Même s’il est important d’accorder une attention maximale aux minéraux employés dans la création d’un jardin karesansui, le choix des quelques rares éléments végétaux qu’on y ajoute doit se faire avec autant de soin.
Mousses et lichens
Une fois que vous aurez créé vos monticules et érigé vos rocs, vous pouvez passer à leur décoration avec de la mousse et des lichens. Au cours des dernières années, il est devenu de plus en plus facile de se procurer des différentes sortes de mousse dans les magasins de jardinage ou les sites en ligne, mais nous sommes encore à mille lieus de la variété des bryophytes disponibles au Japon ! Pour ceux qui s’intéressent de près à l’initiation à cette catégorie de plantes aussi fascinantes que méconnues, on recommandera vivement ce petit livret mis gracieusement à la disposition du public par des biologistes professionnels amateurs de bryophytes : http://bryophytes-de-france.org/fichiers/Livret_Bryologie_MNHN_Natureparif.pdf
Une autre source pour acquérir des échantillons de mousse particulièrement belles est bien évidemment la forêt. Cependant il faut seulement prélever des plaques de mousses en petites qualités et ce dans le respect de leur environnement ! Qu’il s’agisse de mousse achetée ou fraîchement prélevée dans la forêt, il est impératif de l’arroser régulièrement et suffisamment pour la garder vivante !
Il en est de même pour les lichens que vous trouverez uniquement en pleine nature. Si vous souhaitez en prendre un échantillon pour l’incorporer à votre jardin zen, pensez toujours à respecter l’environnement et ne pas en prélever trop !
Conifères et sapins
Les seuls arbres et arbustes admis en petite quantité dans les jardins zen sont des conifères et des sapins bien taillés. On y trouve des faux cyprès – Chamaecyparis obtusa –, des cèdres – Cryptomeria japonica – ainsi que des sapins – abies firma, abies mariesii, abies veitchii, abies homolepsis. Si vous n’avez pas encore d’expériences dans la taille des plantes, commencez avec les conifères qui pardonnent plus de fautes et repoussent assez vite.
Pour la taille, luttez contre votre nature française et évitez aussi bien les symétries que les formes géométriques telles que les ronds, les ovales ou les cônes pour privilégier des formes japonaises telles que les triangles ou les ellipses asymétriques.
Les arbres et arbustes servent également à cacher et à révéler des éléments du jardin. Pour ce faire, éclaircissez des parties de l’arbre en coupant des branches et des feuilles et étoffez d’autres en liant ensemble des branches pour former des touffes plus denses.
Bonsaï
La technique du bonsaï est le point culminant de l’art topiaire et cristallise le principe de miniaturisation, qui est au cœur des jardins scéniques japonais. A moins d’être déjà un expert en la matière ou de vouloir investir beaucoup de temps, il est préférable d’acheter un arbuste déjà taillé et de s’informer uniquement sur son entretien, qui demande déjà beaucoup d’attention et de soin.
Comme vous avez pu le constater, l’aménagement et l’entretien d’un jardin zen demandent beaucoup de rigueur, d’effort et d’énergie. Cependant, cette application constante va de pair avec un apprentissage de l’art de l’attention, un aiguisement de vos sens aux détails et aux matières qui sera d’un effet extrêmement bénéfique et apaisant pour votre bien-être physique et mental et vous procurera des petits moments de plaisir et de ravissement au quotidien !